Conséquences des violences subies_Témoignage de Astou
Il est 5 heures du matin. Dans la cour derrière ma fenêtre, le bruit du balai s’invite dans mon sommeil. Et moi, à demi endormie, j’entends au loin le doux chant du « woya » protecteur s’ajouter au bruit léger du balai avec dans l’atmosphère, un léger parfum de rosée mêlé à de la terre mouillée.
Le bruit est persistant, et mon sommeil complétement perturbé, je finis par me réveiller. Je quitte alors mon lit, je regarde à travers les volets de la fenêtre et je vois Astou, la toute nouvelle aide-ménagère à l’œuvre malgré la pénombre, s’appliquant à débarrasser la cour de branchages, fleurs fanées et autres débris qui trainent.
Astou est une belle dame imposante, la trentaine révolue, toujours souriante malgré un air absent qu’on peut surprendre dans son regard quand elle ne sait pas qu’on la regarde.
En effet, mes activités ne me laissant plus une minute à moi-même, une aide bienveillante et de confiance est devenue plus que nécessaire pour la maison.
Astou m’est venue alors comme envoyée par la providence, par le biais d’une agence de placement. Prête pour le travail, prête à travailler coute que coute. Quelque chose dans son regard m’a intriguée lors de l’entretien. Ce quelque chose qui ne trompe pas. Mais je n’étais pas sure. Coup de foudre, intuition peut être ? Astou est retenue. Elle veut commencer sur le champ. Point besoin d’aller chercher ses affaires me dit-elle.
Désormais nouvelle membre de la famille, Astou travaille avec plaisir, portant avec fierté sa blouse de travail
En effet, Tata Astou, debout avant tout le monde, parfois avant le chant du coq, est toujours la dernière à se coucher, comme si elle avait peur de la nuit. Jamais oisive, même quand il n’y a apparemment rien à faire. Elle ne se sépare presque jamais de la serviette à récurer, nettoyant et astiquant. Elle traque la saleté. Attitude que j’ai vite fait d’interpréter comme une volonté de se vider l’esprit, d’ôter une certaine souillure, de se purifier. De temps en temps, on la surprend debout, au milieu d’une tache, perdue dans ses pensées, le regard lointain et triste.
Surprenant me suis-je dit!!! Que cache ce sourire ? A-t-elle d’autres motivations ? Je me suis penchée sur son cas pour comprendre ses véritables intentions. Il s’en est suivi plusieurs tentatives de discussions infructueuses avec Astou, enquêtes sur le terrain auprès de l’agence : Rien ! Il y a tellement de faits divers ces temps-ci que j’ai voulu aller jusqu’au bout. Rien ne devrait être laissé au hasard. La prudence est de mise.
Résultat des courses : Astou a fini par s’ouvrir à moi. Des sanglots au milieu de la nuit m’ont orientée vers sa chambre. La porte est ouverte et je vois même avant de rentrer, tata Astou méconnaissable, en larmes, dévastée.
Cette nuit, au cours d’une longue discussion entre femmes, Astou finit par me confier ses déboires de mère et d’épouse, les blessures de son corps et de son âme. Elle venait d’être répudiée après 15 ans de ménage, 15 ans avec mari et enfants. !5 ans de vie commune, mais aussi 15 ans de coups, de gifles, de blessures, d’humiliations, de souffrances qu’elle dit avoir enduré pour avoir la chance de rester auprès de ses enfants. Mais un tour à la mosquée, et le tour est joué. C’est fini avec en bonus, l’interdiction de voir ses enfants mais aussi et surtout la fin de son calvaire ( je me suis dit intérieurement)
J’étais choquée et dégoutée devant l’ampleur des dégâts, conséquences des violences subies. Beaucoup de cicatrices, suffisamment de cicatrices pour s’interroger sur les raisons de tels sévices à notre époque. (Des fraîches, de vieilles, de grandes, des petites entailles, des rouvertes etc.)
Voila ! il lui faut tout recommencer : un toit, de l’argent, etc. Astou n’a donc trouvé autre issue que de se mettre à la recherche d’un travail qui lui permettrait d’avoir un peu d’argent mais surtout le gîte et le couvert. En fait ce qu’il lui faut, ce sont des soins médicaux, un médecin, non, des médecins pour soigner aussi bien le corps que l’esprit.
Terrible !!! Pourquoi souffrir autant alors qu’on est censé s’aimer ? Comme beaucoup de femmes, elle s’est désespérément accrochée à un foyer qui n’en était plus un, refusant de porter plainte pour violences conjugales, refusant de partir dans l’espoir puéril que les choses allaient s’arranger, supportant le pire pour ensuite être jetée comme une vielle chaussette par son bourreau fatigué de sa résistance muée en résilience.
Comme beaucoup de femmes avant elle, Astou s’est maintes fois demandé :
Où irais-je ? Que ferais-je ? A qui laisserais -je mes enfants, etc
L’éternel dilemme, Non, le piège infernal
Je recherchais une aide, j’ai rencontré ASTOU, abusée et désabusée. Une femme qui réapprend à vivre, qui réapprend à croire en elle-même ; enfin, je l’espère sincèrement, car Il y a des cicatrices qui ne se refermeront peut-être jamais, celles qu’on ne voit pas, celles qu’on ne voit que dans le regard des survivantes de ce genre d’abus.
Malheureusement, l’histoire de Astou n’est pas un cas isolé dans cette société qui se veut pourtant moderne. En effet, où aller quand rien ne vous a préparé à ce genre de situation ?
Où aller quand vous ne disposez pas du minimum ?
Où aller quand vous n’avez aucune idée de vos droits de citoyenne à part entière ?
Ou aller quand vous ne savez même pas que c’est la responsabilité de l’état de vous protéger ?
Ou aller quand vous ne savez ni lire ni écrire dans cette grande ville ?
Combien d’Astou encore faudra t-il ?